J’arrive à Huslia vers 20h30. C’est vraiment spécial et émotif pour un musher d’arriver en traîneau à chiens à Huslia. C’est le village natal du célèbre musher, champion, Georges Atla. Il est décédé au mois de février dernier. Il a créé un centre de traîneau à chiens dans son village pour motiver les jeunes Autochtones à devenir musher. Cela peut être très important pour ces jeunes d’avoir une activité passionnante. Ils peuvent ainsi s’éloigner de l’alcool et de la drogue, ainsi que des idées de suicide. Je trouve l’idée excellente et je pense sérieusement créer ce genre de centre ici au Canada quand je serai à la retraite. Huslia et les autres villages de la région sont aussi le berceau du traîneau à chiens. Les Autochtones utilisaient les chiens de traîneau comme moyen de transport mais ils organisaient aussi des courses entre villages. Leur lignée de chiens qu’on appelle ‘’Indian dog’’ sont toujours parmi les meilleurs. Ils sont à l’origine du husky d’Alaska.
Les gens sont incroyablement sympathiques. Quand j’arrive, j’ai la face couverte de givre. Un monsieur s’approche pour enlever les glaçons que j’ai autour du visage.
Un responsable du point de contrôle vient aviser les mushers qu’il y a une annonce de froid intense en vigueur pour la nuit prochaine jusqu’à 10h du matin. Sur les étangs, cela pourrait descendre à – 55 C.
C’est parfait. Je suis morte de fatigue, en plus l’endroit est vraiment sympathique. Je vais passer la nuit ici au lieu d’aller geler les poumons de mes chiens ainsi que mes doigts. J’ai déjà un doigt de pied et trois doigts de la main droite qui ne répondent plus. Ce n’est pas grave. Ils ne me font pas mal et ils sont encore un peu de couleur et je suis gauchère. Cela va juste être une bizarre sensation pendant quelques mois.
Plusieurs femmes viennent parler avec moi, peut-être, grâce à mes cheveux blancs. Elles m’invitent à aller dormir dans la maison des ‘’Aînés » où j’ai droit à un matelas.
Je suis contente d’être là. Quoiqu’il arrive, j’aurai au moins passé dans ce village mythique. Tous les gens nous avisent que nous avons fait la moitié du parcours. C’est déjà un beau contrat avec ces températures.
Je fais la connaissance de Jacques Philippe, un célèbre musher Français expatrié depuis longtemps en Alaska et plusieurs fois vétéran de l’Iditarod. Cela fait longtemps que j’en entends parler. C’est donc très sympathique de le rencontrer. Il suit l’équipe à Isabelle Travadon, la musheuse Française qui participe aussi à la course.
Certains chiens ont la diarrhée. Cela ne me paraît pas grave, mais à cause de la déshydratation. J’aime mieux les traiter le plus vite possible.
Je repars vers les 10h30. La température est en train de remonter. Elle va atteindre – 30 C, mais le vent se lève.
L’étape est longue, pareille à celle d’avant m’a dit un trappeur, soit environ 150 km. Pour mon attelage de 9 chiens, la cabane à 100 km est trop loin. Je m’arrête après 6 heures de route vers Brian Wilmhurst et Rob Cooke qui sont en train de bivouaquer. Il fait moins froid.
Quand j’arrive à à Koyukuk, il commence à neiger. Je ne veux pas m’arrêter trop longtemps car Le prochain point de contrôle est Nulato, à 35 km. C’est mon point de contrôle préféré.
Je rentre quand même dans le point de contrôle de Koyukuk. Je m’assieds un moment sur une chaise quand soudainement une femme m’attrape par le bras. ‘’Hey, tu t’endors!!’’
J’ai encore dormi trop longtemps...
À Nulato, mes 9 chiens sont toujours en forme. Tout le long de la course, j’ai le loisir d’admirer mes nouveaux coéquipiers : Éole, Elim, Eagle et Echo, la progéniture à Mr. X. Ils auront 3 ans au mois de mai. Ils sont vraiment extraordinaires comme leur père. Eagle s’arrête après 6h pile. J’en profite pour faire au moins une petite pause. Au moindre encouragement, il repart de plus belle. Quant à son frère Elim, il a tiré comme un bœuf tout le long, de Fairbanks à Nome. J’ai dû le laisser à la position de barre, vers le traîneau, c’est là qu’il y faut de la force. Il a la déplorable habitude de manger les cordes. J’ai installé un câble uniquement à cette position. Les deux sœurs, Echo et Éole n’ont jamais eu le trait détendu. Ils ont tous mangé comme des goinfres, une qualité indispensable pour un chien de longue distance qui doit ingurgiter 10'000 calories par 24 heures pendant la course.
À Nulato, je m’arrête environ 3h30. Je sais que c’est une erreur car il neige et la piste va être difficile à trouver sur le fleuve, mais c’est mon point de contrôle préféré : Une dame vient me servir un gros bol de soupe d’orignal.
Les gens sont sympathiques, prévenants. Ils ont fait l’effort de nettoyer après le passage du gros peloton de mushers. Il faut reconnaître qu’en général les mushers sont très sales. Ils ne ramassent rien, arrivent parfois les godasses pleines de merdes de chiens, renversent leur soupe par terre, etc. Ils ne se soucient pas le moins du monde que les suivants vont devoir installer leur sac de couchage là au travers…
J’admire donc les gens de Nulato qui tiennent le point de contrôle le plus propre de la course. Merci!
Je pars de Nulato vers 16h30. Il vente et il neige. La piste est passable jusqu’à mi-parcours. La nuit tombe. La deuxième partie devient un exercice d’orientation et de survie. Cela prend quelques secondes pour sortir de la trace et ne plus voir de balise. En tournant la tête dans tous les sens, on peut aussi bien faire demi-tour sans s’en rendre compte en apercevant une balise dans le faisceau de la lampe. Je vérifie souvent mon orientation. Les chiens enfoncent dans les congères, mais ils ne se découragent pas. Nous sommes encore très loin de Kaltag, mais nous apercevons une lumière. Les chiens accélèrent. À l’entrée du village, il n’y a plus aucune trace et des balises un peu partout. Évidemment, je ne rentre pas par la bonne piste. Heureusement, ce n’est pas grand et je suis déjà venue. Je finis pas retrouver la salle communautaire où se trouve le point de contrôle. Nous recevons l’accueil chaleureux de Mark, le responsable du point de contrôle.
L’étape jusqu’à Unalakleet, premier point de contrôle sur la Côte, comme ils disent (Mer de Béring), est longue, 140 km .
Comme je n’ai que 9 chiens, je n’arrive pas à aller d’une traite jusqu’à la deuxième cabane, où tout le monde s’arrête. Je fais 2 arrêts un peu plus courts au lieu d’un long. Les 20 derniers kilomètres sont sur la glace.
Nous voilà donc sur la Côte, la Costa Brava, comme je la surnomme dans ma tête. J’en suis très heureuse. Je ne suis plus qu’à 420 km de Nome. Plus qu’à… s’il n’y a pas de blizzard, de chiens blessés ou autre.
Les chiens sont en forme. Un peu de massage pour les muscles. Les diarrhées sont sous contrôle.
Unalakleet, c’est le meilleur point de contrôle pour se reposer car il y a de vrais lits… Je n’ai pas l’intention de dépasser 6 heures quand le responsable nous avise qu’il y a une tempête sur le Norton Sound (Les 80 km de banquises que nous devons traverser entre Shaktoolik et Koyuk). 20 concurrents sont coincés à Shaktoolik. Il faut savoir que le point de contrôle de Shaktoolik est en plein vent. Il n’y a que peu de place. À peine pour 10 attelages. À l’intérieur, c’est aussi minuscule avec une extraordinaire chiotte qui ressemble au trône de la reine Elizabeth. Elle prend un tiers de la pièce et embaume les deux autres tiers. Il faut que je retourne car j’ai oublié de faire une photo. À cela tu rajoutes 20 mushers…
Bref, pour moi, Unalakleet me paraît être le paradis pour attendre la fin de la tempête. Ce n’est pas l’avis de plusieurs concurrentes qui décident de partir malgré tout. Il faut dire qu’il ne fait pas un souffle de vent ici à Unalakleet.